Oui, je l'ai lu, Sin ! Je n'ai pas accroché !
Pour une raison bien légère, peut-être, par rapport à la qualité du roman !
C'est que je n'aime pas ce Marseille que certains imaginent ou décrivent comme ayant réellement existé (et qui a existé, je n'en doute pas ; mais c'est un Marseille que je ne connais pas et que je veux ignorer
) : ses tripos, ses prostuées et ses maisons closes, ses voyoux....
J'en suis lasse ! Dommage, je n'ai retenu que cela dans ce roman et je n'ai même pas voulu le terminer !
Ben oui mais c'était comme ça dans le temps (et c'est très bien décrit) alors pourquoi se voiler la face ? Surtout que ça a été mis en place en 1865 environ (àmha ça devait exister bien avant) d'une manière très officielle, et pas de maisons closes sans prostituées, pas de prostituées sans voyous et pas de voyous sans tripots.
Certes, dans Banjo un coup c'est une patronne de bar qui se fait dégommer pendant que les clients consomment au comptoir, un autre coup c'est un matelot et par erreur (ouais, c'est pas le bon matelot qui est flingué -- mais ça, c'est le hasard, c'est la vie au quotidien, quoi, genre quand il y a grand mistral un pot de fleur ou une cheminée qui descend et tu te le/la prends sur la cafetière ou pas).
Et puis des fois les lames surgissent vite. Maintenant c'est les kalach's, pas sûr que ça soit mieux...
Moi, ce qui m'a le plus interpelé, c'est d'avoir lu de grands passages pleins de remarques intelligentes et constatations lucides sur la vie de ces "gens de couleur" (comme on dit maintenant, à l'époque le roman est truffé de "noirs", de "nègres" et carrément de "négros" -- bientôt la "
Revue nègre" de Joséphine Baker faudra l'appeler la "Revue des gens de couleur", vous croyez ?), remarques et constatations complètement d'actualité comme si le roman avait été écrit hier soir avec les événements de Ferguson et tout ce genre de choses : arrestations arbitraires sur la Canebière ou la rue de la République (de la "République", whahaha, vous avez bien lu, t'en foutrais, moi, de la
République...), tabassages, fouilles, expulsions, emprisonnements, comme aujourd'hui.
90 ans après, rien n'a changé, sauf les putes qui leur adoucissaient la vie et qui ont disparu.
Un autre truc qui n'a pas changé, la saleté omniprésente : l'auteur l'a bien noté plusieurs fois, et on peut toujours le lire et le voir (merci aux photographes à l'œil attentif) sur ce forum...
Un truc sympa, c'est cette solide amitié forgée à coups de bagarres, de bitures et de souffrance sur les quais (quand il fallait décharger les navires à la mano ça ne devait pas être rose tous les jours), remplacée par la solitude créée par les machines et la téloche (au lieu des bistrots redoutés par fanette).
Petites phrases que j'ai bien aimées :
p. 158 :
Il lui semblait tout à fait contre nature qu'on puisse aimer une nation -- cet essaim grouillant d'êtres humains qui faisaient du commerce, rivalisaient, exploitaient, mentaient, trichaient, se battaient, s'opprimaient, s'entre-tuaient, et qui possédaient également la faculté d'organiser leurs sordides rivalités en un système monstrueux dans le dessein de piller les peuples plus faibles qu'eux.p. 187 :
La civilisation est une pourriture.p. 314 :
... avec des hanches qui ondulent et le mouvement voluptueux et caressant des drapés féminins.Ce qui est très curieux, c’est que ce quai de Rive Neuve n’est jamais cité [...]
Je n'avais pas fini le livre quand j'ai écrit ce qui précède, alors p. 328 :
Ray les conduisit de l'autre côté du Vieux Port, sur le quai de Rive Neuve, là où se trouvent les restaurants de poissons et de fruits de mer.Sur la forme, la traduction de 1931 avait été critiquée, celle de 1999 (utilisée dans la présente édition) n'est pas terrible non plus : entre la foultitude de mots et de phrases en français qui ne sont pas signalés (oui, j'ai dégoté en pdf une version de 1929, qui me permet de comparer) et les erreurs (cette histoire de pont transbordeur que je signalais est une erreur de traduction : il s'agit de ponts suspendus, probablement des passerelles ou des ponts mobiles, qui permettaient de passer de la jetée à la terre ferme, à voir sur cette carte de 1926)

ou les approximations ("
I was living in clovah [c'est marrant, l'américain : des fois ils écrivent comme ils prononcent, ici il faut lire "clover"]
for six months!" donne dans le bouquin "
j'ai vécu dans le trèfle pendant six mois !" -- Dans le trèfle, c'est c'la, oui... Heureusement mon Harrap's m'indique
Fam. : to be in c., être comme un coq en pâte -- moi je dis que c'est du foutage de gueule, sur ce coup), j'avoue que je l'ai un peu en travers...
Reste des balades sympathiques entre la jetée, la Joliette, le Quartier Réservé et ses bas-fonds sordides (à nos yeux ! Mais à l'époque ça devait être normal, comme nous paraît insensée
la Cour des miracles qui pourtant a existé au quotidien), des hectolitres de rouge descendus et de la musique, et quelle musique !
Voilà, c'est à peu près tout pour le moment (ce sujet n'a pas l'air de passionner les foules), me reste à écrire à l'éditeur avec la liste des fautes d'orthographe (accords, traits d'union [absents quand il les faut, mis quand il ne les faut pas...], mots doublés, etc), il y en a près d'une trentaine ! (j'oublie toujours que le noble métier de correcteur a disparu des imprimeries à notre époque productiviste [à ch13r !]), et la liste des erreurs de traduc'.
Vous croyez qu'ils m'enverront un spécimen de la nouvelle version corrigée ?