Juste pour le plaisir et pour ceux qui sont loin de chez eux...
Etre marseillais
Mais, être Marseillais - ô bonheur sans égal !
C'est naître en plein soleil, par un coup de mistral
Dans la plus belle ville et sans y prendre garde,
Voir, en ouvrant les yeux, la Vierge de la Garde !
Que l'on soit du Canet ou de la Porte d'Aï,
C'est grandire en tétant un quignon frotté d'ail ;
C'est aimer son quartier où, niston on fourmille
En jouant à la raie, à morfion, aux billes ;
C'est tailler son école ; aller en tourbillon
Chouner aux Catalans ; faire le bataillon ;
C'est marcher dans la rue plus fier qu'un santibelli
Et montrer aux passants un vaste chichibelli ;
C'est, lorsque l'on devient un jeune, un peu plus tard ;
Etre un type à la coule et aller au pétard ;
C'est aimer simplement nos petites nistonnes
Avec leurs yeux de braise et leurs airs airs de madones ;
Aller au baletti, faire les petits pas ;
Filer la rente à Choise entre deux mazurkas ;
Se saper en rupin, se coiffer d'une bâche ;
Faire voir que pour tout on est à la renache ;
Mangea tres soou de muscle en passant sur le Quai ;
Avoir du bon pastis dans sa piaule planqué,
Dégotter une rague où le roucaou y pite ;
Avoir des mouredus, des piades qui s'agitent ;
Savoir faire avec art un aïoli puissant,
Une rouille, un coulis, surtout, avoir l'assent !
C'est aimer le soleil, notre belle Corniche ;
Balader en tramways auprès d'une bibiche ;
Aller au cabanon ; pas forcer le jeudi
Et pour se reposer, l'Alcazar le lundi ;
C'est la mer, la jetée et notre Canebière ;
On a beau la chiner mais elle est là, très fière,
Elle commence au Cours pour finir à l'ékin.
Et le ciel le plus bleu lui sert de baldaquin !
Ah ! vous pouvez blaguer les gens de la Provence,
Notre langue est de race, elle tient de France ;
Si l'on met pas les points sur le i en parlant,
Nous les mettons ailleurs quand on est insolent.
«Té mon bon !» «quès aco ?» sont des mots hors d'usage ;
Le Marseillais, peut-être, est simple en son langage,
Mais il est naturel, sincère, honnête et franc
Et ne dit jamais : Noir quand il a pensé : Blanc !
C'est accrocher partout un peu de sa jeunesse
En galéjant toujours et, quand vient la vieillesse
S'en aller lentement d'un pas triste et lassé
Vivant les souvenirs d'un si joyeux passé
Avec sa bonne vieille à qui l'on est fidèle
Puis, un soir sans regrets, c'est fermer la parpelle
Dans ce joly pays aux coins ensoleillés...
Et voilà ce que c'est que d'être Marseillais !
Fortuné Cadet
Et un autre.....
De l'accent! De l'accent! Mais après tout en-ai-je?
Pourquoi cette faveur? Pourquoi ce privilège?
Et si je vous disais à mon tour, gens du Nord,
Que c'est vous qui pour nous semblez l'avoir très fort
Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde,
"Ces gens là n'ont pas le parler de tout le monde!"
Et que, tout dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir l'accent, pour nous, c'est en avoir...
Eh bien non ! je blasphème! Et je suis las de feindre!
Ceux qui n'ont pas d'accent, je ne puis que les plaindre!
Emporter de chez soi les accents familiers,
C'est emporter un peu sa terre à ses souliers,
Emporter son accent d'Auvergne ou de Bretagne,
C'est emporter un peu sa lande ou sa montagne!
Lorsque, loin du pays, le cœur gros, on s'enfuit,
L'accent? Mais c'est un peu le pays qui vous suit!
C'est un peu, cet accent, invisible bagage,
Le parler de chez soi qu'on emporte en voyage!
C'est pour les malheureux à l'exil obligés,
Le patois qui déteint sur les mots étrangers!
Avoir l'accent enfin, c'est, chaque fois qu'on cause,
Parler de son pays en parlant d'autre chose!...
Non, je ne rougis pas de mon fidèle accent!
Je veux qu'il soit sonore, et clair, retentissant!
Et m'en aller tout droit, l'humeur toujours pareille,
En portant mon accent fièrement sur l'oreille!
Mon accent! Il faudrait l'écouter à genoux!
Il nous fait emporter la Provence avec nous,
Et fait chanter sa voix dans tous mes bavardages
Comme chante la mer au fond des coquillages!
Ecoutez! En parlant, je plante le décor
Du torride Midi dans les brumes du Nord!
Mon accent porte en soi d'adorables mélanges
D'effluves d'orangers et de parfum d'oranges;
Il évoque à la fois les feuillages bleu-gris
De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris,
Et le petit village où les treilles splendides
Éclaboussent de bleu les blancheurs des bastides!
Cet accent-là, mistral, cigale et tambourin,
A toutes mes chansons donne un même refrain,
Et quand vous l'entendez chanter dans ma parole
Tous les mots que je dis dansent la farandole!
Miguel Zamacoïs (1866-1955)