Bonjour, j'ai rassemblé mes souvenirs pour vous livrer mon témoignage de ce que fut l'ambiance de la plage de Fos que mes parents m'ont fait connaître dans les années 1960 à 1963. voici donc la journée type
d'un dimanche à la plage tel que je l'ai vécu (j'avais entre 8 et 11 ans à l'époque) :
Tous les dimanches d’été, on se rendait sur la grande plage sauvage de Fos Cavaou, qui trônait à la place du terminal pétrolier actuel.
En 1960, la route, au lieu de bifurquer à l’intérieur des terres après Fos, continuait sur le bord de mer jusqu’à Port-Saint-Louis et traversait une vaste plaine aride. En observant le côté droit de la route, on notait un paysage sablonneux très sauvage, peuplés d’insectes et d’oiseaux. Quelques rares pistes, fermées par des barrières.
A gauche, des dunes, une étendue de sable, et au loin, la mer. Bleue et blanche comme un béret de marin.
Un vague canal peu irrigué longeait la route en formant un obstacle infranchissable. A certains endroits l’eau passait dans un gros tube de ciment enfoui sous le sable, ce qui permettait de rouler par dessus pour rejoindre la plage. Après le passage des dunes, on avait le choix entre plusieurs pistes, modelées par le passage des voitures. Il fallait connaître, parce que certaines traces n’étaient que des cul-de-sac fermés par des barrières de bois et des clôtures.
Le but était de s’approcher du bord de mer tout en restant à une distance de sécurité pour éviter de s’ensabler.
Mes parents ne partaient jamais seuls. Nous formions un groupe de deux ou trois voitures au minimum, parfois bien plus. Mon père venait de vendre sa vieille 203 et conduisait fièrement sa nouvelle Simca P60 neuve, rouge et flamboyante. Les autres véhicules étaient des Dauphines, des 403, et l’ancêtre : une 201 Peugeot dans laquelle prenait place une famille joviale de cinq personnes. Il y avait déjà un certain trafic sur la route, mais assez peu de voitures se rendaient au même endroit que nous. Une fois sur la plage, large d’au moins six cents mètres, on comptait un groupe de voitures tous les cinq cents mètres environ.
On partait en général assez tôt, la seule halte qu’on s’autorisait était l’arrêt chez le marchand de glace afin de se faire découper un gros pain qui refroidirait notre glacière jusqu’au soir.
Mon père trimballait une grande tente Trigano qu’ils installaient sur la plage. Je n’ai jamais compris comment ils faisaient pour s’en sortir avec tous ces piquets, tendeurs et « sardines ». Cependant, leur habitude du camping leur avait donné l’expérience nécessaire. Cette tente et son auvent était montée et démontée en deux temps, trois mouvements.
Une fois la toile harnachée aux voitures pour parer aux sautes de vent, il était temps d’aller à l’eau. Pendant que nous, les enfants, jouions à faire des canaux dans le sable au bord de l’eau, les adultes partaient à la cueillette des coquillages : couteaux, palourdes, tellines. C’était surtout le travail des hommes car les femmes soit nous surveillaient, soit commençaient à préparer le repas de midi
Les couteaux foisonnaient. Aujourd’hui, sur les plages voisines, il en reste très peu. Seules les tellines ne sont pas en voie d’extinction.
Enfin, quand midi approchait, les hommes rentraient avec leurs sacs pleins de coquillages et se dirigeaient vers la tente car c’était l’heure du « flaï ». Ma mère cassait des bouts de glace très irréguliers à coup de pic pour garnir les verres. Nous, bien entendu, avions droit à notre menthe à l’eau ou grenadine. Le Coca Cola n’avait pas encore envahi.les tables.
Après l’apéro, on servait l’immense salade de tomates avec les œufs durs, les oignons, les petits poivrons verts coupés fins et le thon en boîte, écrasé à la fourchette. Une sauce vinaigrette à l’huile d’olive arrosait généreusement cette préparation. Le vin rosé tenu au frais était débouché.
On ne s’arrêtait pas à la salade de tomates. En général il s’en suivait du poulet rôti froid et des fruits.
Le soleil tapait dur à ce moment là mais on pouvait s’estimer heureux quand le mistral ne s’était pas levé et n’avait pas garni nos assiettes de sable ! Nous n’avions ni télé ni Internet pour s’informer de la météo et on partait sans savoir ce qui nous attendait !
Après le repas les mamans partaient faire la vaisselle au bord de l’eau. Elles frottaient assiettes et couverts avec du sable, avant de les rincer à l’eau de mer pour les finir à l’eau douce. Cette méthode n’avait rien à envier au liquide vaisselle. Les couverts brillaient comme s’ils fussent neufs. Les hommes, eux, vaquaient à diverses occupations, dont la sieste à l’ombre des auvents et parasols n’était pas la moindre.
Ensuite venait l’heure de la partie de pétanque dans le sable. Mon père avait toujours un seau rempli de boules dans le coffre de la voiture. C’était un seau de chantier, très solide et pouvant supporter du poids. Des boules, il y en avait de toutes les couleurs : en inox pour les plus récentes, des noires et des… jaunes. C’était des grosses sphères en bronze qui faisaient « tzing tzing » quand on les secouait. Mon père les appelait des boules farcies. Dans le sable c’était les plus pratiques pour pointer car on utilisait la technique qui consiste à « plomber » près du bouchon.
C’était aussi le moment où l’on attrapait des méchants coups de soleil sur les épaules. Le lait solaire n’existait pas encore. On se badigeonnait d’huile de la tête aux pieds et si on avait le malheur de se rouler dans le sable sec on ressemblait à « la créature du lac noir ». Le sable était si chaud qu’on ne pouvait marcher sans les sandales de nylon. Plus on s’éloignait du bord de l’eau, plus il devenait dur et cassant et formait une croûte à la surface, mêlée de traces de sel.
La partie de pétanque était généralement suivie de jeux de balle : foot ou volley. L’installation du filet dans le sable n’était pas une partie de plaisir !
Vers la fin de l’après-midi, on décrétait une seconde séance de pêche. Cette fois, il s’agissait de ramasser des moules. En effet, notre campement était installé dans un lieu qui ne devait rien au hasard : à quelques encablures, une péniche échouée dressait sa pointe noire hors de l’eau. Les hommes partaient à l’assaut de cet épave envahie par les moules avec leurs filets attachés autour de la taille. Nous, les enfants, n’avions pas le droit de les accompagner car on n’avait pas pied et il fallait nager une cinquantaine de mètres avant d’accéder à cet eldorado ensablé.
Une heure plus tard, ils revenaient avec les sacs pleins à ras-bord !
Les femmes s’activaient pour le repas du soir qui était souvent constitué de pâtes aux coquillages pêchés le matin, cuites au camping-gaz, assaisonnées de sauce tomate comme il se doit.
Déjà, on ressortait le jaune et la glace. Mais il fallait faire vite. Le jour déclinait et les moustiques débarquaient pour jouer les troubles fêtes. A une époque, mon père avait installé des moustiquaires fabriquées par ma mère tout autour de l’auvent. Cette protection s’était révélée moyennement efficace et nous privait de mouvements. Nous enfilions alors des polos à manches longues. Cependant, nos jambes nous piquaient partout et c’était à qui se grattait le plus.
Le repas du soir se terminait assez rapidement et la tente démontée en un éclair, pendant que les bestioles attaquaient par grappes. Nous, les gosses, étions déjà à l’abri dans les voitures. Près à repartir, jusqu’au dimanche suivant.